Mercredi 4 novembre 2015
Marguerite Duras est un personnage à part dans la littérature française et à travers quelques
extraits de son livre "Ecrire", je découvre une personne d'une humanité émouvante et d'une solitude
extrême qui me touche.
"Je crois que c'est ça que je reproche aux livres, en général, c'est qu'ils ne sont pas
libres. On le voit à travers l'écriture : ils sont fabriqués, ils sont organisés, règlementés,
conformes on dirait. Une fonction de révision que l'écrivain a très souvent envers lui-
même. L'écrivain, alors il devient son propre flic. J'entends par là la recherche de la bonne
forme, c'est-à-dire de la forme la plus courante, la plus claire et la plus inoffensive.
Il y a encore des générations mortes qui font des livres pudibonds. Même des jeunes :
des livres charmants, sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit:
sans véritable auteur. Des livres de jour, de passe-temps, de voyage. Mais pas des
livres qui s'incrustent dans la pensée et qui disent le deuil noir de toute vie, le lieu
commun de toute pensée.
Je ne sais pas ce que c'est un livre. Personne ne le sait. Mais on sait quand il y en a un.
Et quand il n'y a rien, on le sait comme on sait qu'on est, pas encore mort.
Chaque livre comme chaque écrivain a un passage difficile, incontournable. Et il doit
prendre la décision de laisser cette erreur dans le livre pour qu'il reste un vrai livre,
pas menti. La solitude je ne sais pas encore ce qu'elle devient après. Je ne peux pas
encore en parler. Ce que je crois c'est que cette solitude, elle devient banale, à la longue,
elle devient vulgaire, et que c'est heureux.
Quand j'ai parlé pour la première fois de cet amour entre Anne-Marie Stretter, l'ambassa-
drice de France à Lahore, et le vice-consul, j'ai eu le sentiment d'avoir détruit le livre, de
l'avoir sorti de l'attente. Mais non, non seulement ça a tenu, mais ça a été le contraire.
Il y a aussi les erreurs des auteurs, des choses comme ça qui sont en fait des chances.
C'est très enthousiasmant les erreurs réussies, magnifiques, et même les autres, celles
faciles comme relevant de l'enfance, c'est souvent merveilleux.
Les livres des autres, je les trouve souvent "propres", mais souvent comme relevant
d'un classicisme sans risque aucun. Fatal serait le mot sans doute. Je ne sais pas.
Les grandes lectures de ma vie, celles de moi seule, c'est celles écrites par des hommes.
C'est Michelet, Michelet et encore Michelet, jusqu'aux larmes. Les textes politiques aussi
mais déjà moins. C'est Saint-Just, Stendhal et bizarrement ce n'est pas Balzac.
Le Texte des textes, c'est l'Ancien Testament.
Je ne sais pas comment je me suis tirée de ce qu'on pourrait appeler une crise, comme
on dirait crise de nerfs ou crise de lenteur, de dégradation, comme serait un sommeil
feint. La solitude c'était ça aussi. Une sorte d'écriture. Et lire c'était écrire."...